Par Bernard Friot
Pour écrire les textes de « J’ai quelque chose à dire », je me suis directement inspiré des textes rédigés par les enfants et adolescents de Variations 1 et 2 au cours des ateliers d’écriture que j’ai animés pendant l’année 2009-2010. Mon but, alors, était non pas de susciter des textes achevés,
«finis », mais de rassembler des « matériaux » au plus près de l’expression directe des jeunes.
1) Les ateliers d’écriture
En général, j’organise un atelier d’écriture en trois « mouvements » principaux :
- tout d’abord, il s’agit de « provoquer » l’écriture par une proposition [1] la plus ouverte possible. Les participants réagissent librement à la proposition dans le temps fixé (qui va aussi structurer l’écriture). Le poème est quelque chose qui m’arrive, je fais en sorte que cela m’arrive, dit Ariane Dreyfus. La proposition d’écriture n’est donc là que pour permettre que « cela arrive ». En se souvenant de l’avertissement de Paul Valéry : L'état d'inspiration n'est pas l'état requis pour écrire un poème ;
- ensuite, on revient sur ce qui « s’est passé ». On demande d’abord aux participants de dire comment ils ont vécu et géré ce moment. Cela permet à chacun, dans l’échange avec les autres, de prendre conscience des gestes d’écriture qu’il maîtrise et met en œuvre, ainsi que des obstacles qu’il rencontre et de la façon dont il peut les contourner ;
- enfin, commence le travail sur le texte qui consiste à 1) repérer ce qui construit et structure le texte produit ; 2) le « faire bouger » le plus longtemps possible avant de le figer dans sa forme définitive, et ce par des opérations simples : suppression, répétition, déplacement, ajout, segmentation. Jamais on ne « corrige », jamais on ne cherche les « erreurs », parce que c’est inutile. On cherche au contraire à dégager ce qui est déjà là, pour le faire mieux ressortir. On alterne alors travail oral et travail écrit, car il faut apprendre à voir et entendre le texte.
Avec les groupes Variation 1 et 2, j’ai beaucoup insisté sur les temps de mise en voix et mises en espace, dans la perspective du projet final, où les textes ne seront pas imprimés, mais chantés et joués. Et puis, parce que la dimension corporelle est trop souvent négligée dans l’écriture. Ou plus exactement, on considère qu’elle n’est qu’un élément second du poème, un produit du texte lui-même. Comme s’il y avait d’abord les mots, et ensuite leur mise en voix et leur mise en espace. Or, la composante sonore et la composante visuelle font partie du geste même de l’écriture. Les mots ne se constituent pas (seulement) dans le cerveau, ils prennent corps, véritablement.
Concrètement, les « propositions » (ou « provocations ») d’écriture ont été très variées. Mon souci était de permettre des modes d’expression très différents, individuels ou collectifs, et de faire jaillir en toute liberté les thématiques les plus diverses.
Quelques exemples :
a) Ecrire une suite de phrases commençant par le même mot. Les mots proposés sont des mots « outils », n’induisant aucun thème, par exemple : « dans », « et », « pour »
b) Ecrire un mot (« voix », « main », « peau », « peur », etc.) à un endroit quelconque d’une feuille, puis écrire tout le texte « autour » du mot (on peut dire : écrire un texte incluant le mot déjà tracé). Pour ce type d’activité, on ne travaille pas sur un format A3, mais sur un carré, un rectangle, un rond de dimension plus restreinte. Le choix de l’espace va « cadrer » et influencer l’écriture.
c) Sur une bande de papier, prise dans le sens de la hauteur, écrire de bas en haut (cette façon inhabituelle de parcourir l’espace d’écriture va engendrer des images nouvelles et imprévues, et un autre rythme d’écriture).
d) Sur des languettes de papier, écrire des phrases commençant par « Je suis ».
e)Toujours sur des languettes de papier, écrire des phrases commençant par « J’ai (x) ans et… »
Ces deux dernières activités aboutissent à des textes « en kit », que l’on peut composer à l’envie, en assemblant les phrases de tous les participants d’abord au hasard, puis en sélectionnant les « rencontres » qui produisent le plus de sens. Car, en poésie, le sens n’est pas premier, il naît du rapprochement plus ou moins des mots. Ecrire, c’est aussi choisir, effacer, répéter, déplacer, en restant à l’écoute de ce que produit chaque mouvement.
N.B. : On trouvera d’autres propositions d’écriture dans L’agenda du (presque) poète et Presque poèmes : activités d’écriture (La Martinière jeunesse)
2) L’écriture des textes du spectacle
La seconde étape du travail a commencé par une lecture approfondie des textes produits en atelier d’écriture. Je les ai lus et relus, en les laissant agir sur moi. Un autre élément a été important : le concert du mois de juin au cours duquel les groupes Variation 1 et 2 ont présenté leur travail de l’année. J’ai été alors frappé par la tenue sur scène des enfants et des adolescents, par leur présence et leur cohésion. Chaque personnalité trouve à s’exprimer dans le groupe ; la cohésion n’est pas obtenue par l’uniformisation, mais par la complémentarité. J’ai décidé alors que les textes devaient être écrits au plus près des personnalités qui s’exprimaient, dans leur diversité, voire leurs oppositions. Et donc, il était inutile d’imaginer des personnages, mais de faire parler, le plus directement possible, les participants au projet. De leur permettre, en quelque sorte, de jouer leur propre rôle, car sur scène on est toujours en représentation, et au-delà des individus directement concernés, les textes doivent représenter toute une génération.
Concrètement, on peut distinguer quatre types de textes :
1) les textes écrits sur des thématiques apparues dans les écrits des enfants et adolescents de Variation. Deux exemples :
- « Je ne me reconnais pas/dans le miroir de tes yeux… ». La thématique du miroir, du rapport à son propre corps est présente dans de nombreux textes.
- « Je n’ai pas peur du noir » m’a été inspiré par les histoires racontées par les plus jeunes où apparaissent souvent les personnages magiques des contes de fée (sorcières, fées, ogres…) … et leurs avatars contemporains (la star !)
2) les textes composés à partir de phrases écrites sur une structure donnée. Là aussi, deux exemples:
- « J’ai (huit) ans et… »
- « Je suis… »
Dans les deux cas, j’ai opéré par sélection et composition des phrases recueillies. J’ai rarement modifié leur formulation, sauf quand je l’estimais nécessaire pour des raisons de rythme ou d’euphonie. Malgré l’apparence, les deux textes sont assez différents.
« J’ai (huit) ans » est construit par ordre chronologique des âges et, partant, il est « fixé », c’est-à-dire qu’on doit dire (ou chanter) les phrases dans l’ordre donné, ce qui n’est pas le cas de « Je suis », plus ouvert. « J’ai (huit) ans » propose une sorte de parcours de l’enfance et de l’adolescence avec ses rêves, ses peurs, ses joies, ses petits et grands moments, ses petits et grands sentiments. C’est tendre, émouvant, drôle, comique, banal, sérieux, philosophique, stupide, intelligent… comme la vie !
Malgré la structure donnée, les phrases produites ont des constructions très diverses, ce qui permet de varier le rythme et de créer des ruptures. L’important est que chaque phrase surprenne et retienne l’attention.
Pour le texte « Je suis… », seul le groupe Variations 1 a participé à l’activité (les 7-12 ans donc) ce qui donne une tonalité plus unifiée au texte, composé essentiellement d’images que le lecteur/auditeur peut librement interpréter.
3) les textes directement inspirés d’un texte d’un des participants (ou de deux textes très proches par la thématique et la construction). C’est le cas de « Et vlim et vlam, je me prends les pieds dans l’escalier », sur une idée de Camille.
Voici son texte :
Et vlan, puis boum, j’atterris dans les escaliers. Et cric les marches craquent. Puis fritt la poignée se décroche. Et bim elle m’arrive dessus. Pluie, flac, cordes, neige puis glace. Je ne sens plus mes membres. Et droum je me casse en mille morceaux. Et vlam je renais. Et vlan je revis. Et tout recommence. Pluie, flac, cordes, neige puis glace. Vlim je m’accroche à la poignée et VLAN voilà que chute l’escalier. Et bim, bam, boum les marches se chuchotent qu’elles doivent se casser. Et plouf mes membres se déchainent. Et doum je perds l’équilibre. MERDE qu’elle est. Et tic, tac, toc, je renais. Et vlan, je revis et FRITT je m’accroche à la poignée. Dim dam doum je dois y aller, ma mère m’appelle, je dois aller manger. Et vlan je finis mon assiette. Et bim elle tombe par terre. Et froc je prends la poignée. Et tout recommence à recommencer.
J’ai été frappé par l’énergie et l’humour du texte, liés à l’utilisation très pertinente des onomatopées. Il exprime bien le côté parfois mécanique de la vie qui nous entraine malgré nous. J’ai d’abord essayé de suivre le texte au plus près, mais sa structure narrative ne se prêtait pas à un texte de chanson. J’ai donc dû « oublier » l’histoire et élargir (peut-être !) la portée du texte en soulignant ce qu’il m’avait suggéré : une allégorie de la vie, bruyante comme une machine infernale qui peut vous broyer.
Voici donc mon texte :
Et vlim et vlan, je me prends les pieds dans l’escalier.
Boum boum, badaboum, je patatraque jusqu’au palier
Et cric, et crac, mes os se brisent en mille morceaux.
Aïe aïe ouille, ouille aïe aïe
Quel bruit, la vie, quel chaos !
Et pif, et paf, je me prends une gifle, je me prends une claque
Af ouf ho ho ho, je ne sais même pas pourquoi
Et gnaf, et gnouf, je réponds par des gnons
Aïe aïe ouille, ouille aïe aïe
Quel bruit, la vie, quel chaos !
Et flac et floc, la pluie tombe flaques d’eau flaques d’eau
Brr glaglagla neige et frimas, ça gèle et ça glace
Et ziff et zaff, ça glisse, je me fracasse
Aïe aïe ouille, ouille aïe aïe
Quel bruit, la vie, quel chaos
Quel chahut quel charivari
Quelle cacophonie, la vie !
Parfois, c’est un fragment de texte qui m’a inspiré. Pour « Dans mon cœur, il y a un corps », par exemple, ce sont deux fragments d’un texte de Geoffrey que j’ai dégagés et développés. La structure et les répétitions en font un « texte escargot » qui tourne autour de lui-même. C’est cela, qui était un peu noyé au milieu du reste, que j’ai voulu mettre en évidence dans la réécriture.
4) Il y a enfin des textes que j’ai écrits parallèlement, sans penser forcément au projet de spectacle, et que j’ai trouvés proches de l’esprit des textes des enfants et adolescents. Je les ai alors repris, resserrés, développés, modifiés, « recousus » pour les « mettre en voix ». C’est le cas, notamment, de « Ben, hein, ouais, ah là là » et « Levez-vous ! » (construit sur une série de phrases à l’impératif).
Et maintenant ?
Eh non, le travail d’écriture n’est pas terminé. Il entre seulement dans une nouvelle phase, et les textes « bougent » encore !
Reste à :
- sélectionner les textes, car il y en a trop pour le spectacle. Pour cela, un travail de lecture collective se met en place. Il convient de repérer quels textes « parlent » le plus, quels textes les participants au projet peuvent le mieux s’approprier ;
- ajuster les textes en fonction des contraintes musicales et théâtrales ;
- les laisser évoluer au cours du travail, grâce aux propositions de tous les participants ;
- inventer un « contexte » dramatique : chaque texte doit être mis en situation (où ? qui ? à qui ? comment ?) grâce à la musique, à la mise en espace et au travail théâtral ;
- composer le spectacle en choisissant l’ordre de présentation des textes et en créant des liens, musicalement et théâtralement.
Rendez-vous donc le 7 juin au Théâtre musical de Besançon !
Bernard Friot, octobre 2010
[1] Je préfère ce terme, plus vague, à celui de « consigne ».